Thématique

L’épistémologie sociale est définie comme étant « une analyse de la dimension sociale de la connaissance » (Conein, 2007). D’autres théoriciens, tels que Margaret Egan (Egan & Shera 1952), l’envisagent comme l'étude des moyens par lesquels une société parvient à une relation de compréhension avec son environnement ; cette perspective épistémique est présente dans différents domaines SHS par exemple les ethnosciences pour les savoirs et les classifications populaires dans les années 50 (Bromberger, 1986) ou encore la distance toute relative entre savoirs profanes et savoirs scientifiques à une période plus contemporaine (Barthélémy 2005). 

De fait, (Dick, 2002) explique que l’épistémologie sociale s’est développée à la fois à l'extérieur et à l'intérieur de la discipline des sciences de l'information, elle est fondamentale pour une théorie des sciences de l’information et des bibliothèques. Ainsi, pour renforcer la base théorique de la discipline, il peut être intéressant/utile d'identifier un certain nombre de courants ou de domaines d'intérêt thématiques pour l'épistémologie sociale. Le point de vue de Shera est représenté par toute une famille d'approches, notamment l'analyse des domaines (Domain Analysis), la philosophie postmoderne, la théorie des paradigmes, l'herméneutique, la théorie critique et l'épistémologie féministe. L’approche du Domain Analysis (Hjørland et Albretchen 1995), constitue un des exemples éclairants de l’épistémologie sociale dans l’organisation des connaissances ; il implique que la description du sujet d’un document doit prendre en compte l’usage social des documents. En effet, selon cette approche, la pertinence de la description par sujet doit être dirigée par la connaissance approfondie du domaine, des méthodes de recherche, ainsi que des besoins des utilisateurs cibles. 

Cette approche repose par ailleurs sur la production sociale des catégories et des domaines de connaissances. Elle rassemble un réseau de chercheurs dans le monde tels que Hjørland, Albrechtsen, Smiraglia, Tennis, Ritzer, Thellefsen, Guimarães, Martinez-Avila, parmi d’autres, qui remettent l’organisation disciplinaire des connaissances telle qu’elle a été pensée dans les théories de la  connaissance. Cette approche constitue un apport fondamental dans le champ des sciences de l’information et des bibliothèques. Elle s'intéresse davantage à l'environnement qu'à l'utilisateur, et à son effet sur les individus, en tant que membres de cultures, domaines et de systèmes documentaires distincts. L’approche théorique de Shera (1951, 1961), peut, avec le recul - et avec une méthodologie plus développée - s'avérer être un cadre théorique fructueux pour la théorie de la classification, l'organisation des connaissances et la gestion des connaissances. A l’instar de la réflexion de Conein (2007) sur les TIC et l’épistémologie sociale, pour qui, il s’agit de préciser ce que recouvre le « social ». S'agit-t-il de la collaboration, d’une mise en commun ou plutôt d’une dimension interactive ? Ainsi, se pose la question pour lui des modes d’acquisition des connaissances et la façon dont les artefacts divers (documents écrits, système d’information, etc.) contribuent différemment à l’échange de connaissances et à leur conservation et dissémination.

Bien que l'épistémologie sociale doive avoir son propre corpus de références théoriques, elle doit être également interdisciplinaire dans sa forte dépendance à l'égard de nombreux domaines - sociologie, anthropologie, linguistique, psychologie, mathématiques et théorie de l'information, pour ne citer que quelques-uns des domaines les plus visibles. Dans leurs efforts pour construire les fondements théoriques des études des Sciences de l’information et des bibliothèques, les chercheurs se sont inspirés de diverses conceptions de l'épistémologie sociale, de la justice sociale et de la justice épistémique (Furner, 2018) et de l’organisation des connaissances autochtones (Nakashima 1993 ;Grenier, 1998) entre autres. La description de la théorie de la classification qu’on attribue à Shera (1951) plaide explicitement pour une compréhension pragmatique et contre l'idée d'un « ordre fondamental de la nature » et la croyance qu'il existe une classification unique, universelle et logiquement divisée de la connaissance. 

Bien des phénomènes nous sont connus souvent par l’intermédiaire des autres et donc l’accès à la connaissance passe ainsi par une multiplicité de canaux directs et indirects médiatisés ou non. Alvin Goldman (2021) souligne qu’historiquement, les individus ont souvent été encouragés à rechercher la connaissance en partant de leur propre esprit et en procédant dans un esprit hautement individualiste. En revanche, précise-t-il, la période contemporaine révèle un mouvement vers l’épistémologie sociale incitant les individus à chercher des connaissances à partir du savoir des autres. Ce point vient interroger les notions d’autorité, de légitimité dans la production, la circulation et la validation des connaissances au regard des utopies documentaires (Rayward 1994). Il invite également à interroger les relations entre imaginaires et technologies (circularité, intersection, recoupement, etc.) et leurs influences sur le social et plus particulièrement sur l’évolution des conduites et activités humaines. 

Il importe ici donc d’intégrer des questionnements sur les postures épistémiques dans les processus d'organisation des connaissances de l’épistémologie sociale et les constructions communautaires via l’environnement web 2.0 intégrant des contenus. En effet, cette approche doit être révisée à partir de la théorie de représentation des données textuelles appliquée à cette nouvelle organisation des connaissances par rapport aux organisations classiques utilisées en bibliothéconomie (Dewey, CDU, BLISS, etc.). En effet, le problème fondamental, lié à l’épistémologie sociale, à questionner concerne la certification des contenus numériques et la crédibilité des informations données par cette indexation dite « folksonomique ». Il s’agit dès lors de s’interroger sur cette nouvelle forme de l’organisation des contenus développée sur les réseaux sociaux par les internautes, par exemple les usagers de la bibliothèque lors de la qualification d’un livre. Ce dernier point est une mise en tension importante car la crédibilité à accorder au savoir par « tagging » issu d’une démarche sociale génère des jugements réfutables selon l’épistémologie logique (inductive ou déductive). Quels sont les modèles d'organisation des connaissances aujourd’hui depuis l’émergence de Wikipédia, Wikimédia ?

Il s’agit dans cet appel de s’intéresser aux concepts, aux paradigmes et aux imaginaires sous-jacents aux travaux sur les modalités et conditions contemporaines de la production, de la circulation, de la transmission et de l’organisation des connaissances.

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